27/03/2010

Léo

Léo, un petit gars à qui on ne la fait pas. Parce qu'il a seize ans, qu'il est en 1ère et qu'il sent bien que le cours qui se déroule devant lui n'aura finalement aucun impact dans sa vie future. Ce n'est pas que le professeur fait mal son travail, non, c'est plus que Léo est de ceux à qui la vie devrait parfois lisser les angles.
Il est toujours au premier rang, à côté de celle qui ne parle pas français; c'est sans doute plus simple -- au moins on ne me dira pas me taire. Le sac-à-dos par terre, les écouteurs rentrés dans le tee-shirt, les mains à plat: il sort méthodiquement ses crayons. Trois crayons à papier, deux stylos à bille de couleurs différentes, deux feutres. Puis, il les installe sur la table. Par deux, en les triant selon leur utilisation. La pièce de théâtre bat son plein, le prof parle d'un vague texte que Léo a lu, mais nous sommes un vendredi matin, les yeux encore plein d'un sommeil trop agité pour être réparateur. Maintenant ce petit homme aux boucles blondes prend quelques notes, il faut faire comme si tout ça c'était important: les notes sur les temps, sur les registres, sur les mots qu'il faut employer pour avoir une bonne note en juin. On s'en fiche, hein, Léo, du lyrisme, de qui est le séminariste dans la pièce ?
Comme au théâtre, la sonnerie retentit. Il sort.
Puis il revient, plein d'un air rempli des vapeurs de la ville et du bruit des gamins qui crient leur joie d'échapper à la classe. Il est encore là contrairement à d'autres qui se sont enfuis. L'enfant recommence son manège. Mais cette fois il prend une nouvelle feuille. Il va dessiner des mots, des couleurs, des choses qu'on ne peut pas voir de l'autre côté du bureau: la vie, la vraie, celle d'un appartement de vingt-cinq mètres carré partagé entre cinq personnes, le père éboueur, la mère qui garde les petits derniers. "Golpe": coup d'état, "metek": étranger. Léo les connaît ses mots, parce qu'ils résonnent dans sa tête, ils sont forts, ils sont secs, ils sont beaux. Il ne connaît pas forcément leur signification mais ce sont comme les marrons qu'on prend en automne, ils réchauffent les mains, ils deviennent des compagnons d'infortune.
Léo n'en veut pas vraiment à la société, non, ce n'est pas un adolescent rebelle. Il est même plutôt calme, mais ses jambes meurent d'envie de courir: la vie hors des murs de ce lycée, de cet appartement.
La vie d'un gamin, Paris, 19 ème arrondissement.

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