21/12/2009

Il y 'a un instant.

[Texte écrit il y a un petit moment: c'est parfois si insupportable qu'on regarde le creux des rails du métro, et que les yeux s'y attardent au point de faire vaciller un quart de seconde le corps vers l'avant. Il avait écrit: "On dirait une héroïne racinienne"; je n'ai jamais fait de deuil. Les yeux embrumés]

Je le vois, je l’écris. Comme une obsession marquante. Un creux dans un vide profond. Il manque à mon univers. J’écris le désir de le voir renaître, mais cette image encore, la traitresse de mes mots refuse de donner autre chose que des images. Son corps abîmé, la mise en terre, la peur, le refus de pleurer, l’abdication et le long chemin qui nous reste à parcourir alors qu’il est parti. Ecriture que je refuse de donner en pâture aux hommes illettrés de sentiments, rien à faire, l’image, le corps, l’odeur. Je pleure une mort d’il y’a une dizaine d’années comme si elle survenait à l’instant. Juste quelques minutes avec lui, juste un instant pour le voir en vrai, avec moi. Avec moi. Avec moi. Pas dans une reconstruction. Dans ma réalité. Sans les cauchemars. Sans cesse, je revis cette annonce. La lumière était grise. La voiture était sous un platane – de ces arbres qui bordent les routes nationales, et qui étrangement, longent aussi certains hôpitaux de province. Il y avait des inconnus qui nous demandaient de dormir. Comme si le sommeil était simple ; déjà, je le savais parti en dehors de toute réalité, puisque nous n’avions plus le droit de le voir. Je n’ai ni vu les larmes le long du corbillard, ni celles répandues lors des visites. Au nom de quoi ? De la protection de l’enfance. Pour ses petites filles, la mort du grand-père a été pillée. Il a été dans sa solitude, dans le début des autres morts précoces. Alors, maintenant, il ne reste plus qu’à « vivre avec » cette absence. Suintante de beaux sentiments, et de secrets de famille. Son corps l’avait abandonné. Et moi avec. Parti trop tôt ou trop tard, je le vois comme un ange qui surveille mes faits et gestes, qui observent les mots, qui seraient fier de ce que je suis. Tant de moments passés dans l’oubli de mes images. Une pellicule, s’il vous plaît, pour retenir ses cheveux blancs, sa calvitie, sa cicatrice, sa taille, ses mains. Juste sentir sa peau sans l’éther, avec de l’eau de Cologne, une salle de bain sans aides, un couloir droit sans rampe, un lit sans hôpital, des discussions sans la disparition imminente, des banalités, et des rires: c’est une réalité qui m’a été enlevée. Eux, ils ont ça : pas moi. J’éclate, il n’est pas là pour me tenir hors de l’eau. Du lac au fond du prés. Tu aurais pu me raconter des histoires, on aurait fait tout ce que tu aurais voulu. Tout ça au présent d’une enfance révolue. Mais tu t’en fous. Tu es mort. Enterré. Dépecé. Il reste quoi de toi ? Un crâne avec une cicatrice ? Tes fémurs ? Tu es une charogne mangée par quelques lombrics.
Et là, non, je porte comme un Sisyphe la mort naturelle d’une vieille personne.

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